Quarante ans, dans les dents.

Ecrit il y a quelques années maintenant que le recul me permet de regarder cela comme une île que j’ai traversée…

gers

Depuis que nous vivons a la campagne, j’ai des acouphènes, des calculs, des maux de ventre, j’ai perdu douze kilos, mes seins et mes fesses, mon travail et l’envie d’en retrouver, ma mémoire est aléatoire et mon énergie metéolabile, je sème des poignées de cheveux, j’attends la pluie avec nostalgie et le soleil avec appréhension, et surtout, le dimanche matin, je vais me réfugier au supermarché pour voir du monde. J’ai attendu de me retrouver là à quarante ans pour réaliser avec stupeur que je suis une citadine qui aime la nature avec dévotion, respect et admiration, mais ne sais y vivre qu’à l’ombre de son angoissante présence maternelle d’un autre temps. Bref, j’y perds mon essence, mon désir, je décharge mes batteries qui restent désespérément vides, je pose mes tas de valises qui restent en tas, tant le vide des placards me fait miroiter l’excitante perspective des futurs cercueils… J’ai fatalement eu mon passage de l’enfance chez mes grands-parents, merveilleux gascons, audois, béarnais, rompus aux usages de la vie en campagne… Quoi que je soupçonne ma grand-mère Denise d’avoir désiré longtemps un exil plus exotique que sa verte Baïse au cours si lent, à l’opacité sans promesse ni histoires de son voyage écoulé. Mais durant l’enfance et sa terrifiante aptitude à gober la vie qui se pose à nos pieds, peu à dire qui ne soit un regard circulaire et étroit, de type circuit d’aquarium, le jeu, les chiens, les livres, les rares amis avec lesquels on partage l’imaginaire, et le slalom qui permet d’éviter ce qui fait peur dans la vie partagée avec les adultes. On y arrive, bien en général, on traverse tout ça en se racontant des histoires, en faisant tout ce que l’on nous dit, ou le contraire, en mimant Marceau singeant  Cheetah répétant Jacquot, on passe, de l’un à l’autre, d’un âge à soi-même. Et là, un jour, du milieu de tout, on se décale un peu, pour laisser passer les autres, le temps, les rêves, et on se retrouve, un jour, à quarante ans, au pied de soi, sans savoir ce qu’on fait là. En campagne !

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